Le crazy kiwi est un homme sage
Il y a des atavismes qui marquent des destinées. Quand on est né aux antipodes, au pays du long nuage blanc, que l’on a passé son adolescence dans les grands espaces de l’ouest américain, venir faire son trou sur les rivages de la vieille Europe si bien ordonnée peut paraître une incongruité. Sauf à considérer qu’un tel point de chute peut devenir une rampe de lancement vers d’autres horizons, maritimes et en solitaire cette fois-ci.
Fort logiquement, Conrad a fait ses classes par la Mini Transat, formidable école de vie, d’humilité et meilleur moyen de savoir si l’on est fait du bois des coureurs d’océans. La suite apparait dans la logique des choses : une Route du Rhum, puis le Global Ocean Challenge, un tour du monde en double à bord d’un Class40, épreuve qu’il remporte haut la main.
Avant d’accéder à son rêve ultime, le Vendée Globe, il conclue tout d’abord une Barcelona World Race aux côtés de Nandor Fa, le navigateur hongrois de retour sur le circuit IMOCA après plus de dix ans d’absence. Le contraste est saisissant, au départ de Barcelone, entre Nandor, patron ombrageux, chérissant comme la prunelle de ses yeux, un bateau qu’il a dessiné et construit de ses propres mains et Conrad, tout feu tout flamme, mais bien conscient qu’il va devoir freiner ses ardeurs sous peine de voir le fragile équilibre de ce tandem construit en dernière minute voler en éclat. Malgré les pépins accumulés faute d’une préparation suffisante, ils boucleront leur tour inaugurant ainsi un pont inédit entre Nouvelle-Zélande et Europe de l’Est.
Le Vendée Globe 2016 était donc dans la logique de son parcours. Il fallait avoir la foi chevillée au corps pour se lancer dans l’aventure sans la manne providentielle d’un partenaire qui permette au moins d’assurer le minimum. Mais Conrad est fait du bois qui a façonné avant lui des Jean Le Cam, Bernard Stamm ou autre VDH, ces marins qui ont su quand il le fallait, partir sans un sou vaillant, seulement convaincus que leur passion finirait par leur rendre justice. Dès lors, rien ne pouvait l’arrêter : son monocoque était dépassé ? Il serait malgré tout un des plus élégants de la flotte arborant fièrement les symboles maoris de son pays d’origine. Son équipe serait une des plus désargentée de la flotte ? Tous compenseraient à force d’huile de coude, de volonté farouche les subsides qui ne manqueraient pas de manquer. Parce que quand Conrad Colman avance, on ne peut que le suivre… Alors bien évidemment, notre Crazy Kiwi va accumuler des galères, faute d’une préparation et de moyens suffisants avant la course. Mais qu’on ne compte pas sur lui pour baisser les bras : d’ores et déjà, son parcours est des plus épatants. En 12e position, il tient tête à des voiliers autrement plus rapides que le sien, ne néglige jamais de faire partager sa vie du bord, sans complaisance mais sans catastrophisme.
Bref ! Il mène son bonhomme de chemin loin des feux de la rampe, avec constance. Bientôt, Conrad sera à la latitude de Wellington, aux antipodes de Lorient son nouveau port d’attache. On peut imaginer qu’en tapant du pied très fort, les ondes d’encouragement traversent le globe pour venir le chatouiller quand il sera par 180° sud et lui rappeler comme ils sont nombreux ceux qui suivent avec passion son parcours… Alors chiche ?